Souvenirs, Avenir

Émylie, ma cousine

Lorsque mon père m’a dit, hier, que tu es enceinte,
je n’ai pas pu m’empêcher de me remémorer tous
les beaux moments qu’on a pu passer ensemble
depuis qu’on est tout petit.

En fait, j’ai passé la nuit à me souvenir,
comme si je chutais pendant plus de vingt ans.

Vingt années de jeux d’enfants, de complicité, de joie et de peine, de plaisir et de misères.

Tu m’as longuement aidé, peut-être sans le savoir,
à passer au travers du labyrinthe de l’enfance
où j’étais, à quelques exceptions, le petit solitaire plongé dans son livre
ou dans le monde imaginaire de ses Lego.

Je me souviens encore d’hier, des nuits passées à déconner au lieu de dormir, ou à écouter malgré toi les chansons de Manau parce que j’avais mis le disque en mode répétition. Des histoires que tu racontais et qui me faisait rire jusqu’à en avoir mal aux côtes. De la hutte en branches construite dans le bois, près de ton chalet. Ou encore de tes yeux brillants au goût des premiers escargots, une fois la première crainte passée. Des escargots, et de la poutine. Lorsqu’on y repense aujourd’hui, c’est un menu de brave.

Puis vint l’adolescence, la naissance de l’idée qu’on est plus
que simplement l’enfant de nos parents, les membres d’une seule famille,
aussi unie soit-elle.

L’adolescence nous éloigne l’un de l’autre, et c’est normal :
chacun de nous, à notre bout de l’île,
vivons de nouveaux jeux, de nouvelles complicités, de nouvelles joies et misères;
nous ne nous croisons plus qu’occasionnellement, aux fêtes de famille.

Pendant que tu t’ouvrais au monde, ma chrysalide se changeait en coquille d’acier
aussi solide et hermétique que le métal, derrière laquelle je continuais de lire en silence,
sans prendre le moindre espace, sans perspective.

Encore aujourd’hui il arrive de vouloir changer les choses, de vouloir agir autrement;
mais le passé ne devient plus qu’histoire, ne se vit plus, il se déforme;
peut-être est-ce par peur de l’avenir qu’encore aujourd’hui,
j’observe avec plus d’enthousiasme l’histoire du silence
que je n’écoute la musique du futur.

On se retrouve dans un drôle de contexte, des années plus tard : avec ta volonté diamantine,
tu décides de briser le sarcophage dans lequel je lis toujours avec avidité,
tu y remues la momie que je suis devenu, tu y cherches, peut-être,
le cousin curieux que tu as connu dans ton enfance.

Ce soudain désir de me voir autrement que comme l’énergumène m’atteint avec violence. Ainsi, existe-t-il une solution, il est possible de vivre à la lumière. Avec patience, tu m’as réappris à moi, l’entêté de service, à prendre poids dans la vie en délaissant milles angoisses. Semaine après semaine, on se revoit, on rit à nouveau, on se confie un peu. Tout semble comme avant, si ce n’est que le thé et le café ont pris la place du lait et du jus. Tranquillement, tu me montres à vivre normalement, à me retrouver. Tranquillement, je me retrouve; tranquillement, j’extirpe de sa tombe l’enfant en moi que j’y avais enterré.

Hier, mon père m’apprend que tu es enceinte,
que la famille s’agrandira encore un peu;
la taille d’un bébé, votre enfant, à Simon et à toi.

Comme le temps a passé pour que les enfants que nous étions ne deviennent
les grandes personnes que nous sommes maintenant,
à la veille de devenir parents, de veiller à notre tour
sur d’autres vies que les nôtres.

Félicitation : c’est ce que les gens disent lorsque
quelqu’un, quelque part, une femme, une famille, un homme,
attendent une visite qui ne peut plus nous quitter;
mais la beauté de la vie ne se congratule pas :
elle se vit, justement.

Et ce que je te souhaite, ici, maintenant, à toi, à Simon, à toute la planète, c’est que la joie soit aussi vive dans ta future famille que celle que tu m’as apporté. Que ton enfant soit aussi pétillant et plein de vie que tu ne l’es toi-même, Émylie.

Ma cousine, de ton cousin qui t’aime,

Samuel

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