C’est un titre étrange, non? Le genre d’accroche avec laquelle on se dit que rien de bon ne peut sortir, mais sur laquelle on ne peut s’empêcher de cliquer malgré tout.
L’auteur est mort. Allons bon, va-t-il nous parler de Roland Barthes à trois heures du matin, ce con? Soyez tranquilles, je vous épargne le sadisme d’une telle cabriole. Non pas que je dédaigne le génie barthien, mais hé! j’ai quand même envie de conserver les trois ou quatre chômeurs qui viennent encore rôder dans mon antre (et que je soupçonne, à force de se nourrir des mauvais pouèmes que je griffonne ici et là, d’être masochistes).
Notez le positif par contre! À écrire comme un guignol enivré par de la vinasse et de l’alcool à gogo au beau milieu de la nuit m’empêche de texter mes ex pour leur chanter la pomme ou leur rappeler que ce sont des salauds finis (encore là, ça dépend du taux d’alcoolémie). On pourrait aussi trouver une belle mise en abyme dans cet article: je suis saoûl, ce blogue est mon cellulaire et vous êtes tous mes ex. Oh, la belle image!
Bon, de quoi elle a envie de parler encore, l’abyme? De poésie. C’est vrai, on n’en parle plus souvent de la poésie. Surtout depuis que des enfoirés de massacreurs de mots (j’en fais parti) l’ont fusillé au nom de la liberté d’expression – ou plutôt de la libération de l’expression. Or, le sentiment libre n’est pas beau, il n’a rien de poétique. C’est un chien fou qui dévore la beauté des textes, la nuance et le subtil, et qui en chie un résidu sur lequel se jettnt comme des hyènes sur une proie les pouètes, charognards littéraires. En cette ère bilingue, l’expression anglaise « word scavengers » pourrait bien les représenter (ou W.S., histoire de faire plus classe).
Ceux-là sont des crapules patentées: avec les restes que la bête n’a pas digéré, avec cette merde ils se construisent un fortin, un forum, dans lequel chacun félicite l’originalité des murs qu’ils érigent. Un mur qui, couche brune après couche brune, les isole peu à peu du monde extérieur (considéré comme des ignares, selon l’expression d’Assurancetourix), ce dernier finissant par les percevoir comme une belle bande d’illuminés.
Parce que, il faut le dire. ‘Sont pas fous, à l’extérieur. De la merde, ça reste de la merde. Peu importe ce qu’en dira Piero Manzoni.
Alors, la poésie s’en est allée chez le diable, cédant la place à une espèce d’entité schizophrène, la pouésie, qui forme des pouèmes en châteaux de cartes que la moindre critique fait basculer (en même temps que l’ego de son auteur), et pointant d’un doigt tremblant d’extase le ÇA!, ou le ICI! ou bien encore le VOILÀ CE QUE JE DIS!
Bref, bonjour la nuance, et adieu la tolérance si des yeux non-avertis ne saisissent pas le message caché derrières des paroles en l’air qu’on a emprisonné sur du papier.
C’est Yvon Deschamps qui disait: on veut pas l’sawoère, on veut l’voère! Une réalité avec laquelle la pouésie se complait, sauf qu’elle l’inverse: ici, c’est le pouète qui veut nous faire voir la chose avant même de savoir de quoi il en retourne. Peut-être pour ça aussi que le seul journal culturel du Québec s’appelle Voir, mais ça, c’est pas la même histoire. Et j’aime trop Simon Jodoin pour le démolir sur un blogue anonyme.
Bon, c’est vrai que je mésinterprète peut-être le sens d’une pouésie qui s’est émancipée de ses anciennes frontières – et que j’ai peut-être agi en collabo en ce sens. Cependant, je ne me targue pas d’écrire de la grande poésie que des bobos aimeraient se lancer au visage lors d’un vin et fromage. Mon but est ailleurs – ne me le demandez pas, je ne le dirai pas, même sous la torture!
Donc, on a aboli ses frontières et on a laissé la poésie s’envoler, et c’était peut-être, à l’époque, le choix le plus judicieux pour l’empêcher de heurter un mur. Sauf que, maintenant, à flotter indéfiniment dans l’azur du firmament, au-dessus de la bagarre de taverne qu’est la vie humaine, sans nouvelles frontières ou sans point d’ancrage par lequel elle pourrait admirer la beauté d’une vallée étrangère, non pas un point d’ancrage coincé par l’amertume du hasard, mais plutôt comme une ancre retenue à bout de bras par les gens qui en ont besoin, qui en connaissent la valeur ou qui ne l’ont reconnu que depuis peu, et qui ne veulent pas la laisser s’en aller voler vers d’autres limbes; sans tout cela, la poésie continuera à prendre le large.
Et le chien fou continuera à faire ses tas un peu partout, que des W.S. continueront de venir piller. Genre de postapocalypse littéraire, quoi.
Qu’est-ce qui peut encore ancrer la poésie chez nos néophytes? C’est simple, c’est le style, c’est la contrainte, c’est de jouer avec les mots en s’imposant une forme. On avait les rimes et les sonnets, on trouvera autre chose. Quelque chose de progressif, d’évolutif, mais quelque chose qui soit aussi, parfois, capricieux et difficile. La poésie a fine bouche, c’est reconnu. Mais le style demeure. Un regard dans le rétroviseur nous permet de voir d’où on vient (Ronsard, Baudelaire, Milton, Nelligan) pour voir où nous allons (Bukowski, Miron, Duguay, Renaud).
En quelque sorte, cesser de raconter au néophyte comment se fait la pouésie aujourd’hui (ce que j’ai subi), mais plutôt raconter la poésie (ce que j’aurais aimé).
Et pour finir, pour ceux qui sont comme moi, il y aura toujours Vian:
Tout a été dit cent fois
Et beaucoup mieux que par moi
Aussi quand j’écris ces vers
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse et je vous chie au nez

Laisser un commentaire