Des gens saignent

Oui, des gens saignent. Une personne qui s’érafle le bras dans le gravier froid et acéré saignera. Un peu, moyennement, beaucoup. Tout dépend de plusieurs circonstances: a-t-il glissé sur le sol, ou l’y-a-t-on poussé? Le gravier était-il gros, était-il petit? L’a-t-on aidé à se relever après, ou était-il seul, ou encore, n’était-il pas seul, mais personne ne l’a aidé?

Des gens saignent. On sue, on pleure plus qu’on saigne, oui, mais on se rappelle plus des fois où l’on saigne, car le rouge se remarque mieux que la transparence. Le rouge, c’est l’amour, oui; mais le rouge, c’est aussi sauvage, c’est de la colère. On s’étonne: «tout ce sang vient-il vraiment de moi? Ai-je vraiment en moi autant de colère? Autant de rouge que celui qui coule sur la gravelle?

Orlando, Orlando. Des gens saignent pour toi. Le sang n’a pas fini de couler, car il bat aussi dans nos veines à tous. Il a cessé de couler pour ceux qui sont partis sans qu’on ne les voit s’en aller, ou sans qu’on ne les aide à se relever. Il coule toujours pour ceux qu’on a choisit d’aider, soit par obligation, soit par altruisme. Le cynisme parlera du deuxième, mais j’ai encore espoir que la seconde option soit celle qui prime.

Des gens saignent. Quelques fois, saigner est nécessaire. On peut saigner d’amour, on peut se faire un sang d’encre. On peut saigner pour les autres. On peut saigner sans contrainte, mourir avec un coeur exsangue, mais on peut aussi saigner pour aider un autre coeur à ne pas être exsangue. Ainsi, autour du sang versé, on se rassemble et on s’aime. Saigner pour un autre est un beau geste, surtout s’il est désintéressé. C’est un peu participer au tressage de la corde qui nous sauvera peut-être du vide, du néant vers lequel on se dirige.

Des gens saignent. Tout le monde saigne, et pourtant, pour certaines raisons, on refuse que certains saignent par altruisme. Leur sang n’est pas bon nous dit-on. On prétexte alors mille raisons – certaines furent pertinentes, d’autres le sont peut-être encore. Mais pendant qu’on refuse ces saignements volontaires, d’autres continuent de blanchir dans le gravier, sans qu’on puisse les aider. On voudrait les sauver, bien sûr. Mais on manque de force, de tonus. Car la colère dans le sang est ce qui nous anime, ce qui nous permet de rester debout pour protester et pour soigner ceux qui tombent. Ou plutôt pour les aider à se relever.

Des gens saignent. Des gens saignent, mais cela ne suffit pas. Il ne suffit pas de relever quelqu’un pour retourner à l’ombre s’asseoir et contempler. Il ne suffit pas d’avoir saigner une fois, mais il ne s’agit pas non plus de se tuer pour le compte d’Héma-Québec ou de ces autres entreprises essentielles au bon saignement et aux soins prodigués. Il s’agit aussi de convaincre les oubliés, les rescapés, les anciennes victimes, et de leur demander de participer aussi. Et d’outrepasser en période d’exception l’habituelle garde qui empêche les indésirables de saigner. Un petit sacrifice de tout un chacun pour sauver un ensemble plus gros, pour toujours se relever du gravier. On finit toujours pas y retomber et par s’érafler parfois;

Orlando, tu as saigné, tu saignes encore dans le gravier, et ton chagrin verse nos larmes. Mais c’est encore le rouge de ton sang qui paraît le plus. Orlando, le monde, laissez-nous tous saigner pour vous.

 

Laisser un commentaire