ce matin cadavre de clochard à poil retrouvé dans un banc de neige rougie du verre écarlate traînant à terre et avec lequel furent charcutées les veines les pompiers les policiers les ambulanciers les autres iers yé-yé et douze milles témoins ont examinés le colis avant de l’embarquer vite fait vers la morgue anonyme qui ramasse tous les crevés de la ville ne laissant derrière lui qu’une tache crasseuse là où se trouvait le macchabé olé-olé
me suis amusé toute la matinée à voir ramper en horde le bal des passants devant la fenêtre de mon appartement à les voir surgir tressaillir courir vomir s’évanouir et pourtant ne jamais appeler qui de droit car la mort de sans-abris pouilleux n’intéresse maintenant que les corbeaux charognards et ces autres vautours vertueux de la justice sociale
une bande de jeunes écoliers prennent même une photo mortuaire du bonhomme par la caméra de leurs cellulaires histoire d’avoir quelque chose à montrer pour se sentir unique / important / populaire / toutes ces réponses publier sans remord la moindre image de chair en décomposition via Facebook Twitter Instagram et passer à autre chose comme on se fâche en lisant Richard Martineau avant de passer aux pages sports ça rend à la mort sa banale nonchalance elle qui existera bien longtemps encore après nous
dix heures passe un chien qui pisse sur le banc de neige gambade vers son maître qui le rappelle
oh enfin passe quelqu’un qui ne rampe pas vers le travail retraité d’après ses cheveux blancs surprenant le caractère doux de ce vieil homme qui veille un inconnu mort dans sa merde qui éloigne les gens chasse les curieux de tout acabit plusieurs caméras mais aucune avec le logo de grande chaîne de nouvelles venues geindre devant la misère humaine
paraît qu’un pitbull a arraché les couilles du premier ministre
onze heures moins dix ramdam de pompiers et de constables qui devant le cadavre semblent se rappeler la signification de leur moitié d’uniforme recouverte de stickers où il est inscrit en gros «ON N’A RIEN VOLÉ nous» c’est drôle à quel point SERVIR ET PROTÉGER peut se changer en temps de disette de violence et régime de paix en SE SERVIR ET SE PROTÉGER
j’ai l’air gauchiste vite comme ça rien à foutre de ceux-là ce sont les pires branleurs de la planète les bites molles qui se dissimule sous des chapiteaux tantriques et tout ce foutre qu’ils finissent par produire et dont ils se nourrissent afin d’en produire plus ils ont l’audace d’en nommer comme principale vertu la vérité le vrai l’authentique
quelle farce
vérité : nom commun; féminin; factice; antonyme du mensonge mensonge : nom commun; masculin; vrai parce que perçu comme vrai par la majorité donc vérité mais vérité brumeuse sans fondement vérité parce que décidée comme telle par la société société : nom commun; féminin mais tout aussi véreux qu’un commando de banquiers; une bande de taupins qui se réunissent autour d’une vérité qui s’opposent au mensonge qu’ils créent en mentant leur vérité voyez comme le cercle est vicieux de quoi se branler jusqu’à la fin des temps
si vérité il y a elle se trouve juste en bas de chez moi et elle se fait protéger par un vieil homme: la vérité c’est qu’on mourra tous comme des cons dans un banc de neige et qu’on finira cadavre anonyme à la morgue avec un numéro au gros orteil point
autant le dire tout de suite tant qu’à parler de gauche la droite n’est pas mieux mais plus franche avec elle on peut vite crever d’une balle dans le crâne
la compagnie du mort s’en va sans son cortège de pleureuses et plante là le samaritain qui finalement n’était pas si samaritain puisqu’il regrette de n’avoir rien eu en échange d’une demi-heure passée à se geler les couilles par moins quarante. la rue retrouve son blanc désert mais l’odeur métallique de la mort demeure insidieuse sous les relents de tabac de cannabis d’ordure et de poussière
midi la musique de mon logement reprend son cours : jérémiades immondes et brassages de bébé chez la mégère d’en haut musique reggae et engueulade chez le nègre d’en bas soupirs de baise incessamment simulée chez les hippies bobos d’à côté odeur de pot partout dans le bloc seule la drogue les assemble en un troupeau voûté yeux sanguins gueule déboîtée tous en courbettes qu’ils sont face à leur divin dealer je te salue mari pleine de dollars donne-leur aujourd’hui leur dose quotidienne afin qu’une journée de plus puisse m’apparaître ecstasyesque en ce bas-monde
profiter du désespoir des autres pour tenter de s’accrocher un peu plus haut comme noyer des naufragés en plein océan afin de mieux pouvoir respirer tout l’air de la planète peut paraître égoïste cruel sans cœur suite perpétuelle de mots pour décrire cette lâcheté dans laquelle je semble me complaire mais ne me plais pas j’y vis aussi comme un camé; la dépendance aux fixes et aux joints est la leur et la dépendance à leur léthargie est la mienne
ce matin cadavre de SDF au programme en mangeant son petit bol de malheur au goût cartonné des tabloïds qui se vendent comme des petits pains chauds mais qui casse mieux sous la dent que la baguette asséchée des journaux nous dictant un devoir psychopathe qui a goût de réchauffé sur la langue
pour midi je tâcherai de croquer un intello de le faire couiner en langue polyglotte altermondialiste qui se photographie à bénévoler et se remet diplôme cartonné sur diplôme cartonné
mais il ne faut pas leur en vouloir lorsque l’hiver des peuples arrivera qu’on s’entre déchiquettera comme des broyeurs de chair leurs livres savant nous tiendront au chaud et nous nettoieront le derrière car on vit sur un fil d’Ariane suspendu au-dessus du vide et au-dessus duquel
le vent se lève il faudrait donc peut-être penser à mourir
ce soir
lorsque comme un rideau la lune tombera sur la folie des grandeurs passées
sur une mer stagnante de naufragés se dévorant les uns contre les autres
que tomberont les pyramides de pierre pour lesquelles on s’écrasa
mais que resteront droites celles d’où s’écoulent encore des âmes et du sang
ce soir je me demanderai enfin ce qui a été le plus réel
entre nous et le mort en face
.
.

Laisser un commentaire