invisible

Je marche en pleurant, en silence. Les larmes sur mes joues sont celle d’un spectre, d’un fantôme triste car il a perdu la joie. Toutes les tristesse sont dues à un rapt de bonheur, mais pas dans son cas à lui – et il rage de cette excentrique vanité. C’est que, monsieur, il ne pleure pas une joie perdue, il pleure celle qu’on lui promet, chaque fois, qui se montre un peu plus vrai, dont on sent l’odeur, comme le pain qu’on approche lentement de l’affamé, et qui brutalement à la fin se dérobe, immanquablement, dans les coulisses de ce qui fut une belle scène naïve, mais qui n’est aujourd’hui plus qu’une salle vide à la tuyauterie rouillant de partout.

Je pleure en lisant. Aussi invraisemblablement que ça puisse sembler, je vois devant moi, sur le papier, des lettres, des mots formés, sans pourtant en décrypter le secret. C’EST encore une fois la faute de mes larmes, ces satanés larmes qui changent le livre que je tiens en un marécage embrumé.

Et pourtant, il est terminé mon fardeau, je suis libéré! Ne devrais-je pas sentir sur mes joues, après avoir été sous l’ombre du rocher que je poussais, la chaleur heureuse du jour, les délices d’un air pur, dépouillé de toute poussière rocailleuse? Où sont les sourires que j’espérais dans ce livre, pourquoi ne puis-je pas, à la fois, rire et pleurer?

Je pleure un bonheur qui ne vient pas, car il ne veut pas de moi, et je pleure encore plus de le comprendre. Ces soubresauts qui à chaque coup me brisent un peu plus, qui font craqueler mes os et rugir mon sang, ils sont là le supplice d’un manque d’amour. Car le bonheur est le nouveau Valmont et la joie la nouvelle Merteuil, qui ne se nourrissent qu’entre eux de la cruauté qu’ils nous imposent. Vanité, vanité! Qui suis-je, si aveuglé par ma propre fierté pour.me croire digne des honneurs d’une vie heureuse! Quand est-ce seulement que je comprendrais ces paroles puissantes, que le venin m’a un jour lancé: “tu es incapable de bonheur”!

Mon malheur est de me savoir malheureux, et de me savoir incapable d’en abattre les racines, ni par la main, ni par la griffe.

Et quand viendra la fin, celle que je crains comme je crains la vie, nulle parole ne sera prononcé, si ce n’est: enfin! Car, délivré d’un monde où j’aspire à l’invisibilité, je serai, enfin! le grand vainqueur.

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